Pearl Morey, sociologue, s’est intéressée aux dispositifs techniques de géolocalisation destinés aux résident·e·s des EHPAD ayant des troubles cognitifs et sujet·te·s aux « fugues ». Par cette entrée, elle a exploré les circulations des tensions morales du care dans trois mondes sociaux : le monde des concepteurs, le monde des régulations, et le monde des EHPAD. Une tension a attiré son attention en particulier : celle entre la liberté de circuler des personnes résident·e·s et leur sécurité à garantir par les professionnel·le·s. Cette tension fait l’objet chez ces dernier·e·s d’une construction discursive sur le registre du « dilemme ». Face à ce dilemme, les technologies de géolocalisation – entrés sur le marché français au début des années 2000 – portent la promesse de conciliation de ces deux valeurs. En témoignent des slogans publicitaires : "La liberté en toute sécurité" ; "la surveillance libre" ; "la sécurité en toute mobilité". Dans l’EHPAD ethnographiée, le dispositif signalant une sortie d’établissement (Radio Frequency IDentification) a été très peu utilisé du fait de sa fragilité matérielle (ils sont "arrachés" par les personnes), d’un mauvais paramétrage ("Ça va sonner tout le temps, ça va être trop bien !" ironise une agente d’accueil) et de son obsolescence rapide (moins de 5 ans).
À ces inefficacités matérielle et technique se cumulent des questions morales : ils sont décrits comme coûteux et l’accompagnement humain est préféré au care technologique. Un changement de direction de l’établissement est également venu assoir l’abandon des « bracelets anti-fugue ». À rebours des promesses technologiques, les usages sont peu fréquents et, parmi les établissements qui ont effectué une démarche d’achat, les abandons d’usage sont nombreux.
Docteure en sociologie, EHESS, Cermes3 et Iris
- Pearl Morey. "La liberté en toute sécurité". Les promesses des dispositifs techniques de géolocalisation des résident.e.s en EHPAD face aux tensions morales du care. Thèse de sociologie, EHESS (Cermes3-IRIS), p529