Intégralité des retours d'expériences: Peut-on se passer de l'Ehpad?

Retours d'expérience

Dans le cadre de sa mission de soutien des doctorant·e·s et chercheur·e·s en début de carrière, L'ILVV a accompagné cet événement avec un appel à candidature pour participer à cet événement scientifique. L'ILVV a pris en charge en charge Mathieu NOIR, doctorant en sociologie et anthropologie, Université Lumière Lyon2. Les candidat·e·s retenu·e·s dans ce cadre nous transmettent un compte rendu pour nous faire partager leur retour d'expérience (lire ci-contre).

Tout d’abord, je remercie grandement l’ILVV pour avoir soutenu financièrement ma participation à cette journée d’étude. Bien que n’ayant pas communiqué moi-même au cours de cette journée, elle a été riche en rencontres avec d’autres participants (chercheurs et acteurs de terrain) et en enseignements tirés des présentations des recherches menées par les intervenants.

Enseignements et pistes dégagés des présentations :

Mes propres recherches portent sur l’accompagnement d’un proche âgé dépendant, dont un volet est tourné sur le recours aux dispositifs d’aide aux aidants déployés ces dernières décennies dans la perspective d’un « maintien à domicile » le plus longtemps possible. La question des alternatives à l’Ehpad était donc d’un intérêt particulier puisque l’entrée en institution apparaît typiquement comme une solution de dernier recours qui vient en bout de course au maintien au domicile. Il était alors stimulant de prendre connaissance d’analyses portant sur les alternatives à l’Ehpad car ces dispositifs apparaissent chacun traversés par une volonté de maintenir des allures domiciliaires.

On retrouve ainsi une volonté de rapprochement avec des formes d’habitat ordinaire, en même temps qu’un effacement de la place du soin et de la prise en charge médicale. Ces dispositifs témoignaient chacun, dans leur appellation même, de ce souhait de mettre à distance la visibilité du soin, de la rupture avec la vie à domicile et peut-être aussi de la fin de la vie elle-même. On parle par exemple d’habitat « intermédiaire », « adapté », « groupé », « partagé », « inclusif », « participatif », « accompagné », et de manière assez frappante de Demenz WG en Allemagne (qui pourrait être traduit par « colocation » de personnes avec démence, et que des initiatives françaises prennent comme modèle).

De manière similaire aux évaluations de dispositifs de maintien à domicile, les bénéfices de ces alternatives à l’Ehpad sont souvent évalués en termes de coût (plus faible qu’en Ehpad), et du délai voire d’évitement du moment de l’entrée en Ehpad. À mon sens, ce qui est particulièrement significatif, c’est que ces dispositifs alternatifs me paraissent s’inscrire dans une volonté de rupture de la frontière entre vie à domicile et vie en institution. Dans certains cas, cela invite à questionner en quoi certaines de ces initiatives se distinguent des offres de maintien à domicile. Par exemple, on peut se demander en quoi le dispositif d’Ehpad « hors les murs », analysé par Louis Braveman, diffère (outre l’acronyme) d’une offre de maintien à domicile puisque les services sont principalement donnés au domicile de l’aidé. C’est comme si la volonté de se distancier du modèle de l’Ehpad s’appuyait essentiellement sur le modèle de la vie à domicile, si bien que le dispositif relèverait plutôt d’un effort de maintien à domicile plutôt que de la création d’une véritable alternative à l’Ehpad. On touche ici aux limites qui ressortent des analyses présentées par les intervenants, et qui appellent à des prolongements.

Limites et prolongements :

Comme cela a été remarqué par les discutantes Iris Loffeier et Anne-Bérénice Simzac, les analyses n’interrogeaient pas le type de public concerné et visé par ces alternatives à l’Ehpad. Or, plutôt que de supposer que ces nouveaux dispositifs se substituent à l’Ehpad, il se peut que les usagers ne soient tout simplement pas les mêmes. Par exemple, on se doute que les résidences services seniors non médicalisées (type Domytis) analysées par Antoine Gérard s’adressent à un autre public que celui concerné par l’entrée en Ehpad, et n’en constituent donc pas une alternative.

La sélection des usagers des dispositifs alternatifs à l’Ehpad reste à interroger. On connait donc peu de choses sur les logiques de recours aux dispositifs par les aidés et leurs proches (ce que mes propres recherches pourront participer à éclairer), sur le type de public visé, sur les éventuels critères énoncés pour y accéder, ainsi que sur les limites fixées pour le maintien au sein du dispositif.

Par extension, on peut se demander si ces alternatives à l’Ehpad ne participeraient pas davantage à repousser le délai de l’entrée en Ehpad qu’à s’y substituer. Dans ce sens, l’Ehpad resterait la solution de dernier recours où l’entrée est envisagée le plus tard possible, pour une durée de vie que l’on devine particulièrement courte.

Je ressors donc de cette journée d’étude avec une question centrale : où place-t-on la mort ? Paradoxalement, le sujet de la fin de vie n’a pas été abordé (peut-être n’est-elle tout simplement pas prise en compte par ces dispositifs alternatifs). En somme, on peut encore se demander si on peut se passer de l’Ehpad pour la fin de vie, et à quelles conditions.

Personnes rencontrées, et informations collectées :

Cette journée a été l’occasion de la découverte de travaux scientifiques dont je n’avais pas connaissance. Par exemple, les interventions pertinentes d’Iris Loffeier m’ont appelé à m’intéresser à son travail scientifique qui m’était inconnu alors qu’il se situe dans mes intérêts de recherche.

En tant que membre de la coordination du réseau de jeunes chercheurs VieillissementS & Société, j’ai pu présenter nos activités à des participants dont certains se sont montrés intéressés pour le rejoindre.

Enfin, les rencontres ont été riches de conversations avec des acteurs professionnels que je rencontre malheureusement trop rarement car ils sont peu présents dans les manifestations scientifiques auxquelles j’assiste. J’ai par exemple eu de fructueux temps d’échanges avec des architectes d’Ehpad qui m’ont fait part de leur regard sur ces établissements. Pour eux, le plus grand délai pour l’entrée en Ehpad combiné à des contraintes budgétaires se traduisaient par des difficultés ressenties dans leurs propres activités : la plus grande dépendance des résidents lors de l’entrée en Ehpad amène à des contraintes sur l’espace architectural étroit de l’Ehpad. Cela invite à questionner les répercussions sur ces établissements des dispositifs mis en place pour retarder au maximum l’entrée en Ehpad.

Mathieu NOIR,
Doctorant en Sociologie et Anthropologie
Centre Max Weber, Université Lumière Lyon 2

Afin de soutenir l'organisation de manifestations scientifiques pluridisciplinaires, l'ILVV prend en charge la participation d'intervenant·e·s. Fany CÉRÈSE, docteure en architecture, a été invitée à introduire et à présider l'une des séances de la journée. Elle nous a transmis son texte introductif qui en présenta les communications (lire ci-contre).

Avant toute chose, je tiens à remercier le groupe « Vieillissement et Société » du Réseau des Jeunes Chercheurs Santé et Société pour l’organisation de cette journée d’étude dont l’intitulé « Peut-on se passer de l’EHPAD ? » résonne fort avec l’actualité mais surtout avec les questionnements des sujets âgés et de leurs proches qui, comme le montre les études consentent rarement de bon gré à une entrée en établissement.

Il s’agit dans cette session introductive d’explorer les notions qui ont été, sont, ou pourraient être mobilisées pour penser l’EHPAD ; éclairer dans un premier temps la réticence des personnes concernées à travers les concepts d’institution totale ou disciplinaire, mais aussi envisager un repositionnement plus désirable à travers le concept d’hospitalité. Pour cela, je suis heureuse d’accueillir nos deux intervenantes :

  • Pearl Morey, doctorante en sociologie au Laboratoire CErmès à l'école des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, Boursière de la Fondation Médéric Alzheimer en 2017 et 2018 qui présentera une réflexion sur les concepts sociologiques reflétant les tensions en EHPAD entre la liberté (qui est rappelons-le un droit fondamental constitutionnel) et la sécurité (qui répond au principe de précaution). Il s’agit d’un extrait de sa thèse qui étudie les technologies de géolocalisation en établissement et leurs promesses de conciliation entre liberté d’aller et venir et protection des personnes considérées comme vulnérables.
  • Notre deuxième invitée, Manon Labarchède est architecte et doctorante en sociologie au sein du Laboratoire PAVé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux – également lauréate de la Bourse doctorale de la Fondation Médéric Alzheimer. Il s’agira à travers son intervention d’explorer les autres manières d’être - si j’ose dire – possibles pour les institutions ; comment la notion d’hospitalité peut se présenter comme alternative à celle de disciplinaire, avec un double regard : sociologique mais aussi spatial ou architectural.

Ces deux interventions s’inscrivent clairement dans la réflexion qui traverse actuellement le secteur médico-social – en gérontologie mais aussi dans le champs du handicap et de la protection sociale à l’enfance – qui a saisi récemment la nécessité d’évoluer pour répondre au-delà des besoins présupposés des personnes, à leurs aspirations, et notamment de passer d’une logique d’hébergement à une logique que la CNSA dans son chapitre prospectif « pour une société inclusive » , qualifie de « domiciliaire ». Il s’agit en somme de considérer que pouvoir habiter, posséder encore malgré le besoin d’aide un espace, un territoire privé dans lequel il est possible d’être maitre chez soi, fait partie des besoins fondamentaux des personnes. Il s’agit aussi de remettre en question l’amalgame délétère qui a été fait entre « dépendance » et « perte d’autonomie », subtil glissement sémantique qui a permis de considérer qu’avoir besoin d’aide dans les actes de la vie quotidienne se soldait nécessairement par une perte de capacité de vivre selon ses propres règles.

L’évolution du secteur est en marche, il n’y a qu’à observer les différents appels à projets lancés par les Agences Régionales de Santé : « Habitat inclusif », « EHPAD hors les murs », « Services polyvalents d’aide et de soins à domicile », « Equipes Spécialisées Alzheimer », … autant de nouvelles modalités d’accompagnement qui viennent répondre à la demande des personnes de pouvoir vieillir et mourir chez elles. Dans cette dynamique, les établissements sont à nouveau positionnés comme dernier recours, avec assez peu de marge de manoeuvre, placé sous le coup des injonctions paradoxales des pouvoirs publics :

  • Être un lieu de vie mais être capable d’atteindre le niveau sanitaire d’un hôpital ;
  • Permettre la liberté d’aller et venir mais limiter les risques, sans parler du plan Vigipirate ;
  • Promouvoir la bientraitance mais disposer d’assez peu de moyens humains (0.5 ETP/résident, soit une présence effective de 60 min par jour pour chaque personne, moitié moins que dans le champ du handicap)

On assiste aussi à une évolution du public accueilli, qui vient remettre en question les EHPAD dans la structuration de leur offre. Alors que ceux-ci se préparaient à toujours plus de dépendance physique, il s’avère que les personnes entrent davantage en raison de troubles cognitifs, voire même avec des troubles relevant de la psychiatrie, qu’elles sont plus jeunes, plus mobiles et que leur besoin d’accompagnement est bien moins centré sur des actes de nursing que sur la dimension sociale. Alors quel sens cela a-t-il de continuer à recruter quasi-exclusivement des professionnels soignants pour ensuite tenter en vain de leur faire enlever la blouse et décentrer leurs pratiques du soin ? Quel sens cela a-t-il de créer une unité spécifique alors que 75 % des résidents de la structure pourraient être concernés ?

Il paraît nécessaire désormais de réinterroger non pas les pratiques mais la finalité même des établissements et le regard que l’on porte sur le public accueilli. Cela passe bien entendu par une réflexion sémantique : quels mots employons-nous ? Quels sont les concepts sous-jacents ? Ou plus largement : Que vise-t-on et pourquoi ? Se poser des questions avant d’apporter des réponses en somme. Et pour que le changement de paradigme soit effectif, il faudrait d’une part co-construire les réponses avec et pour l’ensemble des parties prenantes, et en premier lieu desquelles les personnes concernées, et d’autre part, avancer sur la question du partage des responsabilités et du consentement à la prise de risque pour sortir d’une logique sécuritaire.

Fany CÉRÈSE
Docteure en architecture - Alelier Architecture humaine