FIGUREZ-VOUS… que les dispositifs de géolocalisation des résident·e·s des EHPAD n'ont pas tenu toutes leurs promesses

Registre des résidents porteurs de bracelet anti-fugue de l'EHPAD ethnographié.
« Mais une fois qu’au niveau humain on a pu gérer la crise pour tout ce qui était les supposés fugueurs résidents, j’ai tout fait pour m’en passer [des dispositifs techniques de géolocalisation RFID]. » (Isabelle Ajavon directrice de l’EHPAD Les Framboisiers. Entretien du 11.12.2015)
Pearl Morey, sociologue, s’est intéressée aux dispositifs techniques de géolocalisation destinés aux résident·e·s des EHPAD ayant des troubles cognitifs et sujet·te·s aux « fugues ». Par cette entrée, elle a exploré les circulations des tensions morales du care dans trois mondes sociaux : le monde des concepteurs, le monde des régulations, et le monde des EHPAD. Une tension a attiré son attention en particulier : celle entre la liberté de circuler des personnes résident·e·s et leur sécurité à garantir par les professionnel·le·s. Cette tension fait l’objet chez ces dernier·e·s d’une construction discursive sur le registre du « dilemme ». Face à ce dilemme, les technologies de géolocalisation – entrés sur le marché français au début des années 2000 – portent la promesse de conciliation de ces deux valeurs. En témoignent des slogans publicitaires : "La liberté en toute sécurité" ; "la surveillance libre" ; "la sécurité en toute mobilité". Dans l’EHPAD ethnographiée, le dispositif signalant une sortie d’établissement (Radio Frequency IDentification) a été très peu utilisé du fait de sa fragilité matérielle (ils sont "arrachés" par les personnes), d’un mauvais paramétrage ("Ça va sonner tout le temps, ça va être trop bien !" ironise une agente d’accueil) et de son obsolescence rapide (moins de 5 ans).
À ces inefficacités matérielle et technique se cumulent des questions morales : ils sont décrits comme coûteux et l’accompagnement humain est préféré au care technologique. Un changement de direction de l’établissement est également venu assoir l’abandon des « bracelets anti-fugue ». À rebours des promesses technologiques, les usages sont peu fréquents et, parmi les établissements qui ont effectué une démarche d’achat, les abandons d’usage sont nombreux.
Docteure en sociologie, EHESS, Cermes3 et Iris
- Pearl Morey. "La liberté en toute sécurité". Les promesses des dispositifs techniques de géolocalisation des résident.e.s en EHPAD face aux tensions morales du care. Thèse de sociologie, EHESS (Cermes3-IRIS), p529
FIGUREZ-VOUS... que la conception architecturale des EHPAD joue sur l’hospitalité offerte aux résident·e·s atteint·e·s de démence.

Relevé habité et analyse de la répartition spatiale des fonctions – Unité « Joto » - EHPAD Les Sources de Bostens
Identifiant différents types d’hébergement dans l’offre proposée, Manon Labarchède, architecte et sociologue, a recherché leur lien avec les conditions d’accueil des personnes.
Elle a conduit des entretiens avec différents acteurs (porteurs de projet, structure familiale des résidents, acteurs de la construction) et des observations in situ.
Elle relève différentes conceptions de l’espace en fonction des établissements. Les unités dédiées, par exemple, associent sécurisation et fermeture des espaces ; délimitation des lieux et de leurs usages ; et organisation stricte de l’unité (Figure).
Elle montre qu’architecture et conditions d’accueil sont liées et qualifie l’hospitalité en œuvre dans les différents types d’établissement. L’hospitalité est contrôlée, au sein des unités dédiées, cherchant à limiter les effets de la maladie et de ses manifestations. Elle est « autarcisée » dans le cas des EHPAD spécialisés entrainant un repli des résidents sur leur univers de vie et une mise à l’écart de l’environnement. Elle est inclusive dans les projets plus innovants, axés sur une volonté d’intégration sociale et spatiale des établissements, et des personnes, dans leur environnement.
Manon Labarchède démontre le rôle important de l’architecture dans le fonctionnement des établissements d’hébergement et des conditions de vie des résident·e·s. Si l’architecture constitue une grille de lecture de processus sociaux, elle est aussi un facteur de changement s’adaptant aux nouvelles connaissances sur la maladie et à l’évolution de cadres normatifs et règlementaires ainsi qu’un élément d’inclusion et d’intégration permettant de répondre aux besoins des résident·e·s et de leur entourage.
Architecte D.E - Docteure en sociologie, Membre permanent du laboratoire PAVE (ensap Bordeaux) et membre associé au centre Emile Durkheim (UMR 5116)
- Labarchède Manon. (2021). Les espaces de la maladie d’Alzheimer : conditions de vie hébergement et hospitalité. Thèse de doctorat de sociologie sous la direction de Guy Tapie et Muriel Rainfray. Bordeaux : Université de Bordeaux. 420 p
- Labarchède Manon. (2018). « Repenser l’hospitalité pour l’hébergement des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer : représentations de l’habitat et pratiques de l’espace », Cahiers thématiques du LACTH, n°18 (Hospitalité(s). Espace(s) de soin, de tension et de présence), pp. 89-98.
FIGUREZ-VOUS... que 35% des personnes âgées dépendantes du Maine-et-Loire vivent en institution contre 7% de celles de La Réunion.

Part des personnes dépendantes de 60 ans ou plus, résidant en institution. Enquête VQS 2015
Amélie Carrère s’est intéressée à ces différences départementales, à partir de données d’enquêtes de grande échelle, représentatives de la population âgée de 60 ans ou plus. Elle y sélectionne les personnes identifiées comme étant dépendantes de l’aide d’une personne pour réaliser les activités essentielles du quotidien et estime la probabilité qu’elles soient prises en charge en institution ou à leur domicile, selon le département.
Elle montre que les caractéristiques sociales territoriales jouent sur cette probabilité, y compris en tenant compte des différences démographiques : le recours à l’institution tend à être plus faible quand le département est marqué par une population âgée plus pauvre que la moyenne nationale. Les différences départementales dépendent-elles de variations de coûts et de quantité d’offre en matière de services et d’institutions, qui sont régulés par les conseils départementaux ?
Ses analyses indiquent que recours et quantité d’offre vont de pair : les différences départementales de recours à l’institution s’effacent à quantité d’offre équivalente. Ses analyses indiquent enfin que le coût des institutions et la possibilité (ou non) de bénéficier d’aides financières jouent sur le recours : les personnes dépendantes à revenus intermédiaires étant plus enclines à résider en institution que celles à bas revenus, mais aussi que celles à hauts revenus, moins aidées financièrement. Toutefois, on constate une forme d’ajustement de marché, les territoires où l’offre est plus couteuse étant ceux où les capacités financières sont plus importantes.
Au total, Amélie Carrère conclut que la création de services et d’établissements, leur tarification, ou encore le financement de la prise en charge et les aides accordées constituent des leviers de politique publique dans l’institutionnalisation ou le maintien au domicile.
Économiste, Institut des Politiques Publiques
- Carrère A., à paraître, « Vivre en établissement pour personnes âgées dépendantes ou rester à domicile : comment joue le contexte territorial ? », Population.
- Carrère A., 2020, "Prise en charge de la dépendance des personnes âgées : une analyse des déterminants de l’institutionnalisation ou du maintien à domicile.", Thèse de doctorat en Sciences économiques
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